Une nuit en enfer
Le 5 janvier 1945, les Anglo-Américains détruisent Royan sous un tapis de bombes…par erreur
Mieux qu’Arcachon…Royan
Avant-guerre, Royan était la grande destination touristique à la mode de la côte atlantique.
Depuis Bordeaux on prend le bateau à vapeur pour profiter des bains de mer. Les Parisiens jaloux des Bordelais les imitent bien vite. Il ne faut que 7h pour relier Paris à Royan par le chemin de fer.
Comme toute cité balnéaire qui se respecte, un Casino municipal est construit dès 1895, le plus grand de France.
La petite ville de 13 000 habitants a même ses VIP : Émile Zola et Pablo Picasso.
En une nuit cette Histoire bucolique va être effacée. Royan est rasée à 85% par les alliés et devient une ville martyr.
Royan forteresse d’Hitler
Anticipant un débarquement américain, Hitler décide début 1944 de faire de certaines villes des « Festungen », des forteresses qui doivent être défendues jusqu’au dernier homme. Parmi elles, Dunkerque, Brest, Lorient, Saint Nazaire, La pointe de Grave ou Royan.
La « poche » de Royan est contrôlée par 5 500 soldats allemands expérimentés et bien armés. La ville déjà munie de défenses côtières du « Mur de l’Atlantique » s’entoure de fils barbelées, tranchés, fossés, et de 215 000 mines.
Alors que Saintes, Jonzac et Rochefort sont libérées, l’état de siège est décrété le 12 septembre 1944. Les Allemands évacuent la plupart des Royannais. Une guerre de position commence.
Opération « Indépendance »
Le Général de Gaulle ordonne de prendre la ville. Non seulement Royan contrôle l’estuaire de la Gironde et donc le port de Bordeaux mais surtout il a besoin d’engranger les victoires pour peser à la table des négociations.
De Gaulle rappelle même une partie de la 2e DB du Général Leclerc. Avec eux ce sont 7000 résistants les FFI qui doivent prendre part aux combats. Pour les aider, les Américains ont demandé aux Anglais de bombarder les bunkers allemands.
L’opération « Indépendance » est fixé au 10 janvier 1945.
Les forces terrestres repartent
Au début de l’hiver, la contre-offensive des Ardennes lancée par Hitler change la donne. Priorité au front. La deuxième DB est envoyée dans les Vosges et l’opération est annulée.
Mais cette annulation n’a pas été perçue comme tel par les Anglais qui compte toujours exécuter le bombardement dès que possible.
Or le 4 janvier le commandement britannique annule le bombardement de Brême pour cause de mauvais temps. Il se tourne alors vers une liste d’objectifs non prioritaires » secondary target » parmi lesquels figurent Royan.
Il fait – 10 degrés à Royan
Dans la nuit du 4 au 5 janvier 1945, il neige sur Royan. Les habitants sont subitement réveillés par les explosions des 1500 tonnes de bombes lâchées par les 347 bombardiers Lancaster. C’est le « Carpet bombing », le tapis de bombe. Après 15 minutes d’intense bombardement, les survivants sortent dans la rue pour aider ceux qui gisent au sol. C’est alors qu’arrive la deuxième vague qui largue ses « cookies », des bombes de près de 2 tonnes pouvant souffler un pâté de maisons entier. Royan va brûler toute la nuit.
85% de la ville détruite
Au petit matin, Royan n’est qu’un champ de ruine. Côté civil on compte 442 morts et plus de 400 blessés.
7 avions anglais ont été abattus par la DCA.
Parmi les soldats allemands on compte 47 morts. Aucune fortification ennemie n’a été touchée.
C’est un échec total dont Américains, Anglais et Français vont longtemps se rejeter la faute.
Pourquoi bombarder la ville de Royan elle-même ?
C’est une incompréhension entre les Etats-majors Français et Américains.
Il était convenu de bombarder la zone de Royan « Royan area ». Pour les Français il allait de soi que Royan n’était pas inclu dans la zone ; pour les Américains qui transmettent au Anglais c’est l’inverse.
Pourquoi bombarder alors que 2000 Royannais étaient toujours présents ?
Au cours de leur briefing les aviateurs anglais doivent « détruire une ville solidement défendue par l’ennemi et occupée par des troupes allemandes seulement ».
Pourquoi n’était-il pas au courant que l’évacuation n’était pas finalisée ?
Lors de la mise en place de l’opération le commandement français avait assuré que l’évacuation totale de la ville aurait lieu avant le 15 décembre, « Evacuation by december 15th »
Mais l’opération ayant été annulée, l’état major français n’a pas informé de l’arrêt des évacuations.
Il faut aussi noter que pour beaucoup, ces 2000 Royannais qui n’avaient pas pu ou voulu partir lors des évacuations précédentes étaient vu comme des collabos.
En outre, juste avant l‘attaque, l’état-major anglais tentent de joindre les Français à Cognac pour s’assurer de l’évacuation mais la ligne de téléphone ne fonctionne pas. Les Britanniques envoient alors un télégramme pour avertir du bombardement. Le temps de le recevoir et de le traduire, les Français sont informés du bombardement à 8h du matin, la ville est déjà rasée.
Opération Vénérable
Au printemps il faut en finir et faire oublier le carnage de janvier. L’opération « Vénérable » débute le 14 avril.
Un nouveau bombardement, franco-américain cette fois, a lieu. Ce sont 7000 tonnes de bombes qui s’abattent à nouveau sur la ville. Royan va servir de test à une nouvelle arme américaine : le Napalm. Une bombe incendiaire qui brule tout à plus de 2000 degrés. Cette arme fera flores au Vietnam. L’ONU l’interdira en 1980.
A cela s’ajoute les tirs de l’artillerie américaine et de la flotte française depuis l’océan, soit 100 000 obus.
Des soldats des colonies
Puis c’est au tour des Français au sol d’entrer en jeu sous les ordres du Général de Larminat. Il dit à ses hommes :
« Le moment est venu de faire sauter la forteresse ennemie de Royan-Grave. Les moyens matériels sont réunis, le succès de l’opération ne dépend plus que de l’audace et de la sagesse des chefs, de la valeur et de l’intelligence des soldats(…)Soldats, aviateurs, marins, vous combattez pour libérer un coin de notre sol. Mais vous vous battez surtout pour dégager le port de Bordeaux, indispensable à ses importations, pour que les Français mangent à leur faim l’hiver prochain. C’est une part notable dans la renaissance du pays qui est entre vos mains. Pensez-y ! »
Au sol ce sont 30 000 Français qui donnent l’assaut appuyés par 200 blindés de la 2eDB du Général Leclerc.
Parmi eux, le soldat Jean Moncorgé, plus connu sous le nom de Jean Gabin.
De nombreux soldats coloniaux sont aussi présents, venus d’Algérie, des Antilles, de Madagascar.
Le 17 avril 1945, la ville ou ce qu’il en reste est libérée. Le 22 avril le Général de Gaulle vient passer les troupes en revue.
Selon les sources, on compte 150 morts et 700 blessés chez les alliés. Côté allemand près de 900 morts et 4600 prisonniers.
La ville se reconstruira patiemment et deviendra un exemple de l’architecture des années 50.
Les Visites d’Hubert