Bordeaux 1944 : un faux sauveur ?

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Bordeaux, août 1944, un résistant espagnol du nom de Pablo Sanchez sauve le pont de Pierre de la destruction en déminant un à un les explosifs posés sur l’ouvrage par les allemands. Chaque année, associations, mairie et institutions célèbrent sa mémoire. En 2018, un livre remet pourtant en cause cette version des faits. Qu’en est-il ?

 

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Le livre est préfacé par l’historienne Geneviève Dreyfus Armand, une des plus grande spécialiste de l’exil des espagnols en France.

 

Commençons par le consensus. Pablo Sanchez fut bel et bien un résistant espagnol mort les armes à la main à proximité du pont de Pierre le 27 août 1944. Tout le monde est d’accord là dessus. C’est après que ça se complique.

Comment est-il mort ? En déminant le pont de Pierre avant d’être fauché par une mitraillette allemande, nous explique la version communément admise. Un exploit retentissant qui figure d’ailleurs sur sa pierre tombale. Pourtant un livre, sorti en 2018, en doute.

Son auteur : Emmanuel Dorronsoro (video interview ici). Ce fils de républicains espagnols est militant dans l’association Ay Carmela qui se bat pour la mémoire des républicains espagnols exilés en France par le régime de Franco depuis 1936. Autant dire qu’il n’a aucun intérêt à mettre en cause la version officielle qui a de quoi enorgueillir tout descendant de républicains espagnols.

 

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Tombe de Pablo Sanchez à Bordeaux

 

Pendant plusieurs mois, ce policier à la retraite s’est livré à une enquête minutieuse. Après avoir exhumé de nombreux documents aux archives, ses conclusions l’amènent à dire que le résistant Pablo Sanchez n’a pas déminé le pont de Pierre.

Alors sur quoi s’appuie les tenants du sauvetage du pont ?

Sur pas grand chose. Un témoignage, un seul. Celui de Angel Villar, résistant espagnol, aujourd’hui décédé. Il fut un compagnon de route de Pablo Sanchez, c’est lui qui a rapporté le sauvetage du pont.

« Un informateur nous a dit il faut protéger le pont (…) Pablo Sanchez s’est introduit dans le pont et a désamorcé les charges »

Il faut attendre 2016 pour voir apparaître un deuxième témoignage. Celui de Claude Mounic, résistant espagnol et lui aussi compagnon de route de Pablo Sanchez.
Il explique, 72 ans après les faits : «Il y avait un message qui disait « Napoleon » va sauter, Napoléon c’était le pont(…)On a pu couper tous les cordons de dynamite(…)nous avons coupé l’allumage électrique, il était 16h, le pont devait sauter à 18h, nous avons sauvé le pont de Pierre. »

 

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Cérémonie en l’honneur de Pablo Sanchez à côté du Pont de Pierre

 

Le diable est dans les détails nous dit Nietzsche. Emmanuel Dorronsoro pourrait reprendre cette expression a son compte.

Son livre épluche à la virgule prés les versions des deux résistants. Et pour lui, elles se contredisent.
En autre : Sur la position des explosifs, sur leur moyen de mise à feu, sur l’arme ayant tué Pablo Sanchez.

On pourrait aisément objecter que si ces deux témoignages ne sont effectivement pas totalement symétriques, ils restent cohérents dans leur ensemble et ils proviennent de deux témoins oculaires.

Néanmoins force est de constater que nulle trace écrite de cet exploit n’a été trouvé.

Le tout jeune journal Sud Ouest qui suit en 1944 l’enterrement de Pablo Sanchez ne parle à aucun moment du sauvetage. Pas plus que les archives militaires où ne figure aucun ordre écrit. Quant aux historiens reconnus de la période, René Terrisse ou Dominique Lormier, ils n’évoquent à aucun moment un déminage du pont.

Alors Pablo Sanchez a t-il sauvé le pont de Pierre ?

Si la question reste sans doute à trancher, Emmanuel Dorronsoro a bousculé des certitudes et fait grandement bouger les lignes. Son enquête, méticuleuse et argumentée, contribue clairement à poser des questions, à faire douter, à ouvrir le débat. Passer du mythe à la réalité par une analyse critique des sources, c’est justement ce qui permet de faire progresser la connaissance de notre histoire.

Hubert
Les Visites d’Hubert

 

Pour contacter l’auteur : aycarmelabordeaux@gmail.com

 

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